Pradeep Thalawatta est un artiste sri-lankais, né en 1979 à Ratnapura, capitale du sud de la Province de Sabaragamuwa.  Pradeep décide de se tourner vers l’art en 1999 à la suite d’un atelier sur la performance artistique au cours duquel il rencontre les artistes contemporains de Colombo. Il déménage dans la capitale en 2000 et entame des études d’art à la Vibhavi Academy of Fine Art, école indépendante créée en 1996 par l’artiste Chandraguptha Thenuwara (aujourd’hui enseignant à la University of Visual and Perf Arts de Colombo), dans le but d’offrir une éducation artistique aux personnes n’ayant pas la possibilité de s’inscrire dans un établissement supérieur. C’est durant cette période que Pradeep se rapproche du Theertha International Artist’s Collective et se lie d’amitié avec Jagath Weerasinghe, qui l’inspirera dans plusieurs de ses travaux. Il obtiendra un BFA (Bachelor of Fine Arts Degree) en peinture à l’université de Lahore au Pakistan avant de s’installer à Jaffna, dans la Province du Nord, pour devenir professeur au département Art & Design de l’université de la ville.  L’artiste a exposé de nombreuses fois au Sri Lanka, en particulier au cours de l’édition 2019 du festival Colomboscope et à la Theertha Red Dot Gallery, et il représenta le Sri Lanka durant la cinquième édition de la Fukuoka Asian Art Triennale au Japon.

Pradeep Thalawatta lors de notre première rencontre, à Jaffna

Dès ces débuts, Pradeep Thalawatta ressent la distinction très forte entre son approche et celles des ses congénères basés à Colombo. « Pendant que les artistes du sud débattaient de la guerre et de la situation d’après-guerre, je peignais des autoportraits. J’étais bien sûr conscient de la situation politique du pays, mais la guerre ne me pas touchait directement et je souhaitais trouver un thème qui me soit propre. En 2004 je réalisais mon premier travail de groupe, My and My Material World, dans lequel j’analysais la couleur des matières que j’utilisais dans mes œuvres et ce qu’elles disaient de moi. L’art était la seule forme d’activité dans laquelle je pouvais m’exprimer et transmettre mes sensations, le médium venait ensuite. »
Diyatha Uyana, Video, 2014
Diyatha Uyana, Video, 2014
Burn Landscape, Photo print, 2011
Burn Landscape, Photo print, 2011
L’artiste s’intéresse aux effets psychologiques et physiques que les transformations de son environnement peuvent avoir sur lui. Ses œuvres attirent notre attention sur les objets, les lieux et les corps qui l’entourent au quotidien. Elles sont parfois l’assemblage de médiums et travaux très différents, et traduisent la dichotomie qui demeure entre sa vie quotidienne et sa vie d’artiste. « J’aime montrer la dualité des choses, et la façon dont le regard que nous portons sur elles les définit et les transcende. Je suis attiré par les aspects exotiques des matériaux et des objets, c’est-à-dire aux souvenirs, aux histoires et aux expériences qu’ils incarnent. » Pradeep Thalawatta développe son travail à travers différents médiums allant de l’installation à la sculpture, en passant par la performance et la photographie.
Face à face avec Jaffna
La recherche d'une forme d'art plus proche de la rue et du corps constitue une caractéristique forte de la pratique artistique contemporaine des années 90 au Sri Lanka, mais il serait redondant d’associer le travail de Pradeep Thalawatta à ce mouvement particulier, ou à un lieu précis. A la suite de son déménagement à Jaffna en 2010, Pradeep se tourne progressivement vers des préoccupations singulières en matière de développement et de changement urbain, en intégrant dans ses œuvres des déchets de chantier.

« Mon travail et la manière dont je lisais le paysage ont drastiquement changés à mon arrivée à Jaffna. J’y suis venu pour la première fois en 2004 pour une exposition collective. C’était encore la guerre, nous devions nous faire contrôler avant de rentrer dans la ville, nous dormions dans une salle sécurisée par des militaires. C’était une période très courte de cessez-le-feu durant laquelle nous avions le droit de passer la frontière du nord, mais l’ambiance y était très lourde. Je n’ai jamais décidé de centrer mon travail sur Jaffna, mais j’ai rapidement senti une interaction très intime entre moi et la ville lorsque je m’y suis installé. »  Pradeep passe ses 6 premiers mois à écouter les sons et les rythmes de la ville, à photographier le chemin qu’il emprunte quotidiennement pour aller à l’université, notant les nouvelles constructions, la circulation des véhicules et la démolition des bâtiments historiques. Nous avons découvert son appartement, véritable témoin de cette période de questionnement sur sa position face au paysage urbain en pleine mutation de la ville. Nous y découvrons des dessins des Demoiselles de Sigiriya (site archéologique majeur au Sri Lanka, ancienne capitale royale) réalisés sur des sacs de ciment. « J’essaye de comprendre la façon dont nous construisons notre héritage, et comment il se transmet. Tout part d’un fait, qui se regarde comme notre histoire et s’intègre à notre patrimoine. »
Pradeep Thalawatta concentre aujourd’hui sa recherche sur le développement urbain de Jaffna. Il s’intéresse en particulier à l’ancienne usine de ciment de Kankesanthurai, au nord de Jaffna, fermée depuis 1993. Pradeep nous raconte la patience dont il a du faire preuve pour rencontrer les anciens employés de l’usine et les habitants qui vivent toujours dans le quartier pour comprendre la manière dont ils perçoivent le lieu. ​​​​​​​

"The cement Factory" 2019, ongoing project of Pradeep Thalawatta

« J’ai fait mes premières visites dans le lieux sans prendre de photos et sans dessiner de croquis. Je n’interviewe pas directement les gens pour ne pas les contraindre, j’attends qu’ils viennent vers moi. J’ai besoin d’établir une relation sur le long terme avec eux pour comprendre ce qu’ils veulent me partager. Je peins pour l’instant le bâtiment sur plusieurs moments de la journée, sous différents angles, afin de reconstruire tout le paysage. Il y a beaucoup d’informations à retenir, l’ambiance qu’il transmet est lourde, on dirait presque qu’il crie. »
Ses oeuvres
Extra Special (2008)
Pradeep utilise cette technique de création dans plusieurs de ses œuvres afin d’y incorporer les objets anodins qui accompagnent son quotidien. Ici, il se représente au milieu de ses amis, sur un fond de bouchons de bouteille Extra Special, alcool très populaire au Sri Lanka. L’artiste attire notre attention sur les relations humaines les plus chères de sa vie matérialisées dans un bouchon de bouteille qui n’a en apparence aucune valeur.
Extra Special, Mixed media, 2008
Extra Special, Mixed media, 2008
A Different Road (2012)
Pradeep Thalawatta a parcouru de nombreuses fois durant la guerre les 400 km qui séparent Colombo de Jaffna. Depuis 2010, la ligne de chemin de fer a ré ouvert, les routes ont été progressivement reconstruites, les mines terrestres ont été enlevées et le nombre de points de contrôle de sécurité réduits. La construction de routes par le gouvernement à Jaffna s’est accélérée, et l’artiste a pu expérimenter ce développement, en écoutant et discutant avec les habitants de la ville. Il en ressort un sentiment de distance entre les autorités politiques et le peuple qui peine à adopter ces changements d’infrastructures. Dans son œuvre, Pradeep présente ce contraste entre l’ancienne route à la texture complexe, bordée de sanctuaires à l’abandon, et la nouvelle route asphaltique construite sur un fragile rouleau de papier. Il ne s’agit par pour l’artiste de présenter les complexités religieuses et sociales sous-jacentes, mais de désarticuler le processus de reconstruction et de le présenter de manière sensible.
KKS Road, Photo Print, 2012
KKS Road, Photo Print, 2012
Montage of Old Road, Soft pastel, 2012
Montage of Old Road, Soft pastel, 2012
Roadscape (2012)
« Lorsque je me suis installé à Jaffna, je n’ai rien créé pendant 6 mois. J’ai collecté des photos de la ville jour après jour pour comprendre le paysage, les routes que j’empruntais… Tout était en mouvement, la ville était envahie par les travaux de construction. Ma tenue rayée fait référence aux murs qui entourent les temples hindous dans le nord du pays et qui n’existent que dans cette région. Je suis conscient de ma position d’étranger ici, bouddhiste du sud, parlant cinghalais, dans une ville tamoul du nord, mais je ne voulais pas traiter Jaffna comme un paysage déchiré par la guerre ou aborder les problématiques liées à la reconstruction de manière frontale. Dans cette installation photographique rien n’est évident, et je trouve ça plus poétique »
Roadscape, Digital print, 2012
Roadscape, Digital print, 2012
Routine Wash (2015)
« Lors de mes études au Pakistan, il y a eu une tuerie dans une école, beaucoup d’étudiants sont morts, la nouvelle circulait partout dans les médias. Bizarrement, je n’ai pas été particulièrement choqué par cette nouvelle, c’est quelque chose qui arrivait très souvent au Sri Lanka, toutes les minutes nous pouvions être attaqué. Dans une ambiance de guerre, notre routine reste la même, nous faisons des même choses, peut-importe ce qui se passe dans le monde. Dans cette vidéo je suis en train de me laver le visage à l’endroit où la tuerie a eu lieu au Pakistan. La journée doit se passer, et vous devez continuer de faire ce que vous faites. Vous devez juste vous préparer, comme tous les jours, et une autre journée suivra celle-ci. Votre temps est distinct de celui du monde qui vous entoure, il répond à une politique complexe de votre routine »
L'image du lieu de la tuerie est utilisée comme arrière-plan et au premier plan, l'artiste est placé en train de se laver le visage. Son visage est recouvert de mousse de savon blanc, qui évoque en particulier l’esthétique victorienne dans laquelle le savon agit comme un «objet de civilisation blanc». La relation entre deux événements médiatisés par l’artiste est tendue, chacun se référant, se confrontant. Le feuilleton, d’une part, suscite l’envie de voir se produire un événement «civilisateur» et, d’autre part, le tableau de l’attaque remet en question un tel mécanisme de civilisation.
Extrait de Routine Wash, Photo print, 2015
Extrait de Routine Wash, Photo print, 2015
Extrait de Routine Wash, Photo print, 2015
Extrait de Routine Wash, Photo print, 2015
Extrait de Routine Wash, Photo print, 2015
Extrait de Routine Wash, Photo print, 2015

At Home, Jaffna, 2019,  Pradeep Thalawatta

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