Nadim Choufi est un artiste libanais né en 1994 à Abu Dhabi. Après des études en ingénierie à Los Angeles, pendant lesquelles il a assisté des artistes dans leurs créations, Nadim débute ses créations personnelles depuis Dubaï, un lieu qu’il surnomme vite « l’aéroport de l’art ». Les expositions proposées sont d’une grande qualité mais la ville n’est pas propice à la création. Il décide alors de rejoindre Beyrouth en 2017, un retour aux sources qui lui permettra de s’insérer dans une communauté d’artistes et d’enchaîner les résidences, en commençant par Haven for Artists, puis en ce moment Ashkal Alwan.
"Je n’ai jamais étudié l’art. Je suis rentré dans le milieu en assistant des artistes. J’ai toujours été captivé par les arts visuels, mais mon envie de mettre les pieds dans la création m’est venue lorsque je suis rentré dans les ateliers. J’y ai observé la façon dont le métier fonctionne et comment on peut en vivre. Je tiens tout de même à dire que l’art ne me fait pas vivre, même si cela aide. Je fais pas mal d’édition de texte, de traduction et autres petits travaux à coté pour vivre plus tranquillement ; le métier n’est pas encore rentable, mais c’est ce que je fais car j’ai envie d’y penser constamment. L’art contemporain est un système de croyances autour d’une œuvre. Que ce soit un objet, une œuvre immatérielle, une installation, grande ou petite. Il faut savoir créer un environnement qui propulse l’œuvre et son propos pour que cette dernière prenne un sens artistique. Le langage et la façon dont l’œuvre est expliquée sont essentiels ; on peut expliquer la toile vierge. Pour moi, l’art est devenu un espace où j’ai pu créer un système de croyances autour de mes centres d’intérêts.
Mon système de croyances tourne autour des effets de la technologie sur la documentation. Je m’intéresse beaucoup aux archives et la façon dont nous pouvons passer de Hardware à Software aussi facilement."
Work In Progress
Les imprimantes fixent sur les documents des points jaunes qui permettent de retrouver l’adresse IP, le jour et l’heure à laquelle ils ont été imprimés ; le bruit des caméras est unique pour chaque caméra, car il provient de la création de l'objet. Ces traces sur les documents peuvent donner une compréhension alternative lorsque l'on fouille au-delà du contenu visible en surface.
En résidence à Ashkal Alwan, une association proposant des programmes complets d’accompagnement des artistes sur une année, Nadim travaille sur les résidus des communications passées, et plus particulièrement sur le projet West Ford.
Avant l’arrivée des satellites, les USA avaient, dans le cadre du projet West Ford, envoyé 480 millions de copeaux de cuivre en orbite dans l’espace. Ces copeaux avaient pour but de réfléchir et de transmettre les ondes radios. Ce dispositif de télécommunication est désormais obsolète, mais qu’en est-il des résidus de cuivre ?
Nadim travaille ici avec ces résidus dans le but de témoigner de l'impact des technologies et techniques industrielles passées sur notre société.
SES ŒUVRES
IPhone Distances (2018)
reprend le style populaire des performances des années 80, où l’endurance du performeur est mise en avant. Dans cette performance, Nadim se trouve nu (parties génitales couvertes) et immobile, ligoté par des cordes. Nadim est allongé horizontalement toute la journée.
La particularité de IPhone Distances réside dans la mise à disposition simultanée de sa documentation, imprimée et intégrée à la scénographie en direct. Chaque spectateur se munit d'un IPhone avec lequel il peut capturer sa vision de la performance, et ainsi documenter l'oeuvre à sa manière.
Les spectateurs jouent le rôle du photographe habituellement en charge de la documentation. Ils vont ensuite imprimer leur prise de vue pour la coller au mur dans une des cases disponible.
L’iPhone n’est pas nécessairement considéré comme un outil professionnel de documentation, mais il représente le moyen de s’informer le plus utilisé dans notre société contemporaine.
« Mes documents les plus importants sont mes screenshots ; dès que je veux me rappeler de quelque chose, je réalise une capture de mon écran d’IPhone pour que ces informations soient stockées dans mon téléphone. »
Les clichés étaient collés aux murs au fur et à mesure autour de Nadim, ce qui donnait le choix au spectateur de regarder la documentation de la performance, ou la performance elle-même. La documentation prenait la place d’une œuvre d’art à part entière affichée sur les murs. Le parcours et la façon dont l’audience était invitée à participer était totalement libre.
Cette liberté a permis de déceler un comportement relativement homogène des visiteurs :
Dans un premier temps, le spectateur prêtait attention à la performance ; puis, le visiteur passait plus de temps à observer la documentation présente. « Une fois que le spectateur s’est rendu compte qu’il avait le pouvoir de prendre en photo la performance et de participer à sa documentation, il a cherché lui aussi à apporter son angle de vue. Certains ont pris en photo les coins de la salle vide, ou bien les autres visiteurs présents, qui faisaient aussi partie de l’expérience, mais qui ne se seraient jamais retrouvés dans une documentation plus traditionnelle. »
Nadim a commencé à s’intéresser à l’art de la performance en fouillant dans les archives les traces des performances passées.
L’acte de la performance est une action artistique comportementale éphémère, réalisée par un ou plusieurs artistes devant un public ou non. Elle laisse peu d’objets derrière elle, la documentation (photographies le plus souvent, mais aussi vidéos, articles, témoignages) reste la seule trace de cet acte, et donne à voir dans la plupart des cas une unique référence . Il n’est pas question de chercher à voir où se trouve l’œuvre ou sa représentation en ligne, mais seulement ce qu’il en reste. En fin de compte, l’art de la performance existe sur le long terme à travers sa documentation. Est-ce suffisant pour qualifier la performance de durable ?
All Of My Mistakes (2017- )
est un travail d’observation traitant des corrections faites par l’homme et par l’intelligence artificielle. Ce travail a débuté en octobre 2017. Il sera présenté en mai à l’institut Français dans le cadre de l’exposition Vices and Validation.
A chaque fois que Nadim commet une erreur, de tout type nécessitant une correction ( faute grammaticale, d’orthographe, faute de frappe…), l’erreur est écrite juxtaposée à sa correction.
Dès que l’ordinateur le corrige automatiquement, que ce soit sur son téléphone lors de l’ecriture d’un message, sur word, ou sur sa boite mail, Nadim en prend note. Toute correction dans l’édition d’un texte, qu’elle soit humaine ou automatique, se retrouve apposée à son erreur d’une encre rouge dans des carnets d’écriture.
Avec du recul, en parcourant les pages de ce carnet, il est impossible de déterminer si la correction a été faite par Nadim ou une intelligence artificielle. Il n’est pas question ici d’en avoir peur, ou d’y comprendre une mise en garde contre la robotisation. L'ordinateur semble avoir reproduit le comportement humain dans ses corrections; il n’est peut-être plus indispensable de faire attention lorsque l'on tape à l’ordinateur car celui-ci nous corrige.
- Combien de carnets as-tu rempli depuis le début ?
"Oh la la, j’ai du remplir quelque chose comme 150 pages avec mes erreurs, et ce depuis octobre 2017. Oui, c’est une obsession, mais j’ai ralenti un petit peu parce que je suis devenu conscient de cette règle lorsque je travaillais. Parfois je me laisse tout de même envoyer des messages à mes amis avec des erreurs, sans les inclure dans ce travail !"
Ses Croyances sur la technologie
"Lorsque j’allume mon ordinateur, le bouton qui s’illumine ou encore lorsque je ne touche plus mon ordinateur, l’apparition d’un « screen saver » (écran de veille) sont des exemples criants de la façon dont nous voulons comprendre la technologie sans en avoir besoin. Le screen saver est pour moi très important car il nous montre que l’ordinateur est encore allumé mais que je ne l’utilise pas. Je n’ai en réalité pas besoin de ce screen saver, c’est à moi de comprendre que je me suis absenté pendant un moment. Ces manifestations à travers des softwares de comportements de hardwares ont un énorme impact sur nous, sur la manière dont nous agissons, je serais peut-être poussé à faire une sieste après avoir vu le screen saver, ou alors je serais tenté de retoucher à mon ordinateur pour le faire disparaître."
Encore une fois, l'invisible est au cœur des préoccupations de Nadim. Un travail de mise en lumière de l'ombre qui mène à réfléchir sur l'impact de notre mode de vie. Nous avons été captivés par sa recherche et son expression artistique, que nous vous invitions à découvrir davantage sur son site internet.
Si vous souhaitez contacter l'artiste ou obtenir de plus amples informations sur son oeuvre: