« Je suis un spécimen, une artiste, sous haute observation de la société et de moi-même. Je sens une distance entre moi et le monde et une infidélité envers la société que j’essaye de comprendre à travers mon art. L'acte de peindre est quelque chose de très intime ; être seule avec ma toile pendant des heures aboutit de manière prévisible à une production impliquée et autonome.
Dans l'esthétique de la distorsion, de l'exagération, de la dérision, je trouve une narration de qui je suis. Je mets en avant les aspects que je voudrais normalement cacher, en étant honnête avec le spectateur sur la façon dont je me vois. En même temps, je teste son seuil de tolérance et de désapprobation. Je me sens belle, volontaire et fière de moi lorsque je deviens le public de ma propre déformation. Mais jusqu'où puis-je vous pousser ? Quand est-ce trop ou juste assez ? Et comment puis-je tirer ma réflexion si envahissante ? »
A tout juste 22 ans, Serene Ghandour aborde avec panache la maturité de ses aînés. Etudiante à la Lebanese American University (LAU), Serene a vécu toute sa vie au Liban, et ne trouve pas d’intérêt personnel à dépeindre son pays; elle a choisi de se concentrer sur un sujet qu'elle voudrait mieux connaître: elle-même. Son travail se concentre sur des autoportraits aux travers desquels elle entame son processus de découverte de soi.
En montrant au public les parties d’elle-même les plus intimes et les plus « repoussantes », elle cherche à comprendre les limites de nos sociétés et les codes avec lesquelles ces dernières interagissent. Utilisant la dépréciation de soi, l’exagération ou la satire, l'artiste nous montre le laid, le dérangeant. Serene ne compte pas arrêter l'autoportrait de si tôt, c'est pour elle un moyen de se voir célèbre et de sortir du Liban, du moins à travers ses toiles.
Son jeune âge et son inexpérience dans le milieu de l'art est un atout qui lui permet d'expérimenter ce qu'elle veut sans l'influence d'un public, et lui laisse la possibilité de se concentrer sur ses expérimentations. L'autoportrait est une façon pour elle de revisiter sans cesse ses techniques, les médiums qu'elle utilise et les thèmes qu'elle choisit d'aborder. Sous certains aspects, cet exercice est très difficile pour elle car il l'oblige à s'inspecter régulièrement jusqu'à connaitre tous ses traits par cœur. Les mains sont particulièrement présentes dans son travail; en les agrandissant elle les rapproche de son visage et les rend inutilisables. Son teint est blanchâtre, presque celui d'un malade. L'idée de Serene est déconstruire son corps pour être plus honnête avec ceux qui la regardent.
L’histoire des autoportraits n'est plus à refaire. Ce style de représentation est le miroir du peintre tel qu’il se voit et tel qu’il souhaite être vu. Aujourd’hui, la peinture s’est détachée de la figuration et avec elle de l’autoportrait, et c’est ce qui rend selon nous l’exercice de Serene d’autant plus intéressant. Les peintures de l’artiste sont une perpétuelle recherche, de son art et d’elle même. « Je m’amuse avec moi-même, c’est un jeu pour moi. Je créé une grande pièce dans laquelle les spectateurs sont les acteurs et je suis le public qui rie de leurs réactions ».
Bien qu’encore très jeune, Serene Ghandour se promet à une très belle carrière puisqu’elle fût exposée en décembre 2018 à la CUB Gallery à Beyrouth et sélectionnée la même année pour faire partie du 33e Salon d'automne au Musée Sursock, Beyrouth. Serene a récemment pris part à l'exposition collective que nous avons organisée, Art as a Witness, à la Zico House, et nous avons décidé de mettre l'accent sur elle afin de vous la faire découvrir.