Affiche de l'exposition
Affiche de l'exposition
Nous avons passé un peu plus d’un mois à Beyrouth. Entre décembre et janvier. Une période de pluie et de noël. Entre les messes et les appels à la prière, entre les annonces de mise en place d’un gouvernement et sa contestation, nous avons été les témoins privilégiés d’une explosion d’initiatives culturelles qu’offre la ville et ses habitants. Ce n’était pas moins de 4 vernissages hebdomadaires, des anniversaires de fondations, des ventes aux enchères, des petits fours, des manteaux de fourrure, et nos retrouvailles avec ces « j’adore la couleur » et « j’en veux un dans mon salon » qui nous avaient tant manqués .
La Zico House

Petit aperçu des environs de la Zico House, en Décembre 2018

Nous étions en résidence à la Zico House, institution culturelle située à Hamra.
La Zico House a aujourd’hui 25 ans et continue d’accueillir les « gens qui pensent »; on pourrait la définir comme un incubateur d’idées, dans lequel des résidences de tout genre de disciplines sont effectuées dans le but de créer une synergie culturelle et civile. Pendant notre séjour, le lieu a accueilli l’actrice et metteuse en scène Anna Lemonaki et sa pièce Bleu, le réalisateur Kurdo-Syrien Diyar Hesso lors du montage de son nouveau film,  la chercheuse et anthropologue irakienne Raghad Kasim, la troupe de théatre Live Lactic Culture, des cours de français hebdomadaires, des cours de cuisine pour les réfugiés Syriens, des concerts... La Zico House a été créée pour répondre au manque et à l’oubli criant de la culture au sortir de la guerre, les préoccupations étant à l’époque plus focalisées sur la reconstruction et le business.
Devant tant d’initiatives éphémères et passagères, il nous a semblé évident de participer à l’animation culturelle de la Zico House.
Affiche de la pièce Bleu
Affiche de la pièce Bleu
The Artist as artwork, workshop à la Zico House, 12/2018
The Artist as artwork, workshop à la Zico House, 12/2018
Après deux premières semaines passées à rencontrer les galeristes, curateurs, collectionneurs et directeurs de musée, nous avons éprouvé une difficulté à rencontrer les jeunes artistes comme nous avions pu le faire en Géorgie, en toquant aux portes. En effet, les artistes émergents ne sont que très peu représentés par les galeries locales, et les expositions collectives n’étaient apparemment pas très en vogue lors de notre visite. Le musée Sursock, unique musée d’art moderne et contemporain de Beyrouth, organise toutefois une exposition collective, le Salon d’automne, regroupant 30 jeunes artistes contemporains. Mais comme son nom l’indique, on se retrouve plus dans un salon, où les œuvres exposées se jaugent à l’applaudimètre.
 L’idée de réaliser un appel aux artistes nous est alors apparu comme un moyen évident pour rentrer en contact avec la scène artistique qui peine à trouver une visibilité. En partant d’une volonté de donner une voix aux artistes locaux plutôt qu’un cube blanc, nous avons proposé aux artistes répondant à l’appel de travailler sur le thème du témoignage artistique et de son importance.  
Mais qu’est-ce qu’un témoignage artistique ?
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Le témoin est celui qui, ayant assisté à un événement, est en mesure d’en parler et de transmettre sa version des faits plus ou moins véridique. Son importance et son danger reposent dans le caractère éphémère du fait lui-même. Le témoignage est l’élément essentiel sur lequel repose tout savoir d’un homme non omniscient.
 Le témoignage artistique vise à transmettre et à ancrer, dans un certain médium artistique, une version d’un fait.
Dans un pays où les livres d’histoire s’arrêtent en 1943 (date de l’indépendance) et dont l’image à l’international est celle d’un pays en guerre (image renforcée par la forte demande d’œuvres portant sur ce sujet), il semble primordial de mettre en lumière les témoignages artistiques relatant des problématiques de la société libanaise actuelle.
Communiquer en milieu inconnu
Il fallait désormais se pencher sur la communication autour de l’événement. Nous avons décidé d’utiliser une photo d’un bâtiment moderne de la capitale. C’était pour nous une façon de montrer comment l’architecture est témoin d’une certaine époque et est donnée à voir à la population locale. Nous avons relayé notre appel à projet via Facebook, et avons imprimé quelques affiches placardées aux endroits les plus stratégiques, mais aussi les plus soumis aux risques d’intempéries… Elles ne firent pas long feu en ce mois de décembre extrêmement pluvieux. Cette campagne de communication aura toutefois révélé plusieurs caractéristiques de Beyrouth : la porosité des sols est quasiment nulle et une simple pluie transforme les rues en torrents boueux, sur lesquels naviguent difficilement nos affiches; la communication et l’utilisation des réseaux sociaux est parfaitement maîtrisée par les libanais, qui ont pratiquement tous répondu à l’appel après avoir vu l’événement sur Facebook; et finalement la popularité éternelle de la nature morte chez les artistes plasticiens.  
Nous avons reçu près de 30 candidatures pour participer à cette conférence, c’était complètement dingue. Les artistes postulant venaient de tous bords, des étudiants soucieux que leur réponse ne corresponde pas exactement au thème, des artistes confirmés nous invitant à les contacter si, après avoir visité leur site, certaines de leurs œuvres nous plaisaient, des artistes établis ayant effectué une oeuvre spécialement pour l'occasion... Parmi les candidats, une agréable hétérogénéité dans les profils se dégageait, des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes, des Libanais, quelques Syriens et Palestiniens. Dans les CV envoyés, nous avons pu confirmer l’importante diaspora libanaise, d'autant plus présente dans le milieu artistique, qui nous donné à voir des inspirations et parcours éclectiques. 
Beaucoup de candidats sont nés à l'étranger, où ont passé une partie de leur vie hors du Liban. Les artistes candidats sont quasiment tous passés par une école d'art, à Beyrouth ou à l'étranger. Les espaces où ils ont exposé sont pour la plupart à l’étranger (Usa, Canada, Brésil, France et Emirats Arabes Unis sont les pays qui sont les plus ressortis), alors que les espaces de diffusion ne manquent pas dans la capitale. 
Dans le type de média utilisé, on ne plus vraiment parler d'une hétérogénéité, loin de là. Nous avons reçu 32 candidatures, dont 24 artistes peintres, 5 vidéastes, 1 artiste sonore et 2 sculpteurs. La formation à travers des cursus artistiques académiques s'est fait fortement ressentir. La peinture abstraite sur toile, réalisée avec une abondance de matière, nous a surpris par sa popularité auprès des artistes plasticiens. Autre médium plébiscité, la peinture/collage avec plusieurs couches, créant un réel effet de trouble chez le spectateur. 
Dans le propos des artistes libanais et de la région, nous avons ressenti une forte envie de témoigner des séquelles de la guerre et de la politique actuelle. On ressent très fortement le trouble et le déchirement de la société actuelle. Nous avons aussi pu assister à une différenciation de la jeune génération, par un travail bien plus personnel et introspectif.
Jacques Vartabedian, Candidate 6
Jacques Vartabedian, Candidate 6
Sami Basbous, Parcours Mar Mikhael
Sami Basbous, Parcours Mar Mikhael
Chaos, Leyla Hajal
Chaos, Leyla Hajal
On a History Never Mentioned, عن تاريخٍ لم يذكر, Hanaa Ismail
On a History Never Mentioned, عن تاريخٍ لم يذكر, Hanaa Ismail
Dans un pays que l'on ne connaît pas, qui ne nous connaît pas plus (non pas qu’il y ait un pays qui nous connaisse), une trentaine d’artistes libanais et syriens assoiffés de visibilité nous ont fait part de leur intérêt pour cette exposition éphémère. Comment pouvait-il y avoir une si forte demande pour un tel événement alors que les vernissages se succédaient ? Nous avons par la suite compris que la scène artistique à Beyrouth était comme coupée en deux,  d’une part une scène artistique tournée vers l’extérieur, avec des galeries internationales soucieuse de proposer des œuvres « à la hauteur » des diverses foires animant leur calendrier. D’autre part, des initiatives cherchant à témoigner du présent des Libanais à travers un art plus accessible, que ce soit par sa forme ou par son mode de diffusion. Cependant, les espaces visant à promouvoir l’art et la culture à l’échelle locale se font rares, faute de financements publics. On comprend vite l’importance d’un gouvernement soutenant la culture. Cet accès à la culture est certes onéreux, mais il est primordial pour un Liban divisé qui peine à panser ses plaies. 
Capturer le paysage Contemporain
Nous voulions choisir des œuvres qui se répondent et créent un corpus de témoignages, dans le but d’éclipser les artistes et de laisser une plus grande place à leurs propos. Nous avons été frappés par l’efficacité et la pertinence de la vidéo dans cet exercice. 
Trois vidéastes sélectionnés ont choisi de nous envoyer des vidéos de parcours itinérants à travers le Liban. Dans un aspect purement esthétique, ces vidéos ont permis d’ancrer le paysage libanais dans le temps et de témoigner du climat en ce début de XXI ème siècle. On y voit un pays qui peine à sortir de la guerre, avec une omniprésence militaire, des barrages et du barbelé, des immeubles encore marqués par l’impact des balles. On y voit aussi un pays de libertés, avec ses routes sinueuses traversant les terres, une mer dont les vagues donnent le rythme du va et vient à l’autoroute nationale située à sa bordure. On y voit un pays aux couleurs ternes, défraîchies, comme si elles semblaient perdre leur combat face au temps ; certaines explosions chromatiques, d’une lumière éclatante, viennent rappeler la beauté passée. On y voit un pays bruyant, si sonore que les réalisateurs ont à chaque fois trouvés un moyen de détourner l’attention de cet aspect distrayant. 
Pour Sirine Fattouh, les films ont été tournés de nuit ou tôt le matin, pour éviter de filmer Beyrouth éveillée ou ses embouteillages. Pour Nour Sokhon, le son ambiant de la ville a été réalisé avec les enregistrements audio de plusieurs personnes parcourant la ville différemment lors d’une résidence à Mansion (maison réinvestie en lieu d'art). Pour Roy Dib, le son et les dialogues ont été rajoutés à une image filmée bien avant. Pour Serene Ghandour, une des deux artistes ayant proposé des tableaux, une représentation focalisée sur ses autoportraits, ce qui lui permet de se couper de toute nuisance extérieure, sonore ou visuelle. Ses fonds sont d’ailleurs remplis de couleurs troubles à l’air emprunté.
Déformations sonores
Nous avons constaté cette volonté de témoigner en transformant le bruit de la part des artistes vidéastes candidats, ce qui ne nous a pas étonnés, tant le volume sonore de Beyrouth est à la limite du supportable (nous avons une pensée toute particulière pour la construction en face de la Zico House, qui a choisi de couler son béton tous les dimanches entre 2 et 8 heures du matin). Taya Osman, artiste Syrienne de Damas, nous a proposé un tableau témoignant de la tromperie de son monde extérieur, qui a préféré la voir comme bipolaire plutôt que de se remettre en question. Un questionnement à une échelle personnelle qui montre l’impossibilité pour les habitants de Damas de sortir des normes dans une période de guerre et d’autoritarisme.
Conférence et questions
Nous avons décidé d’organiser la conférence avant d’ouvrir l’exposition, car nous voulions parler du sujet de façon plus générale et ouvrir le débat à toute personne présente. Il était question de comprendre l’importance du témoignage à travers un médium artistique. Les artistes ont un à un pris la parole pour répondre. L’artiste Sami Basbous, qui a entendu parler de l’exposition en répondant à l’open call, nous a rappelé, à travers ses recherches sur les espaces d’affichages, l’importance de la documentation lorsque l’on témoigne. La conférence a permis aux personnes présentes de s’exprimer de façon naturelle sur le sujet et de découvrir le sujet par la discussion, avant de voir la réponse des artistes.

Sami Basbous à propos des affiches aux murs

Conférence à la Zico House
Conférence à la Zico House
Conférence à la Zico House
Conférence à la Zico House
Conférence à la Zico House
Conférence à la Zico House
Exposition et réponses
La conférence terminée, nous avons pu profiter des œuvres de Taya Osman, Serene Ghandour, Nour Sokhon, Sirine Fattouh, Roy Dib et Joachim Charbit. Voici les réponses et leurs descriptions :
Serene interviewed by a Swiss media
Serene interviewed by a Swiss media
Series of Autoportraits, Serene Ghandour
Series of Autoportraits, Serene Ghandour
Self Portraits – Serene Ghandour  
Acrylic on Canvas, 5 -2018
“I am a specimen under close observation, both by society and by myself as an artist. I sense a distance between myself and the world and an unfaithfulness towards society that I am attempting to investigate and overcome through my art.But the act of painting is very intimate; being alone with my canvas for so long, doubting myself and questioning my motivations, predictably results in a personal and self-involved product.
In the aesthetics of distortion, exaggeration, mockery, I find a narration of who I am, exposing the aspects I would normally hide, being truthful with the viewer about how I see myself, at the same time testing your threshold of tolerance for self-deprecation. I feel beautiful, self-accepting, and proud when I become the audience and see myself in these distorted pieces. But how far can I push you, and how much can I open up? When is it too much or just enough? And how can I benefit from this invasive self-reflection?”
Misdiagnosed, Taya Osman -  10x15 cm
Misdiagnosed, Taya Osman - 10x15 cm
 Misdiagnosed -Taya Osman
2018 / 5 x 20 cm / Oil pastel on paper
A struggle of being mentally misdiagnosed, expressed by an abstract jellyfish showing light and pain of a disordered mind! It was painted in last September it is a witness of my struggle of being misdiagnosed with Bipolar Disorder for two months. So I demonstrated how I felt back then by an expressive abstracted jellyfish, it's a transparent thin layer that contains a vivid organs full of life while its black sensors described depression, which causes chaos and pain for oneself and whomever around by its cruel symptoms!
The Reverse of a Child - Nour Sokhon
2018 / Lebanon 
Sound: in collaboration with Freya Edmondes and Radio Mansion
The soundtrack of “The Reverse of a Child” is part of a project Nour Sokhon created for Radio Mansion in collaboration with Freya Edmondes. All the sounds in the track are from a sound bank recorded by people from the Mansion community documenting their auditory journey to Mansion and shared through a Whatsapp group. Nour and Freya were fascinated by how they did not know the identity of the people who did those recordings and by what they chose to share from their personal or daily life. This notion inspired the creation of the film for “The Reverse of a Child” a nightmare lullaby, when we were little our parents would read to us fairytales before we went to bed to remind us that everything that is to come will be magical and simple. In reality, those fairytales were never true. Similar to how the earlier versions of Little Red Riding Hood were dark and twisted versus the present altered ones where Little Red Riding Hood and her grandmother come out alive. Several metaphors and symbols are used in this film to comment on the obstacles which the capitalist system we are embedded in throws our way.
From Syria to Palestine, El Autostrad, Sirine Fattouh
From Syria to Palestine, El Autostrad, Sirine Fattouh
Walking Borders, Sirine Fattouh
Walking Borders, Sirine Fattouh
From Syria to Palestine: El Autostrad  - Sirine Fattouh
2017 / Lebanon Video installation in collaboration with Stéphanie Dadour
Editing: Michèle Tyan Sound Design: Manu Zouki Post-production supported by Institut Français du Liban
A camera is placed in a car driving along the Lebanese highway from north to south, from the Lebanese-Syrian border to the Lebanese-Palestinian border. The journey takes place in one stroke, following the rhythm of a typical day. It takes a little over 200 km or 4 hours without traffic, to discover a set of places linked by a road, a receptacle of multiple identities.
Walking Borders - Sirine Fattouh
2017 / Beirut, Lebanon - Performance in collaboration with the dancer Emilia Giudicelli
Walking Borders is a performance in collaboration with the dancer Emilia Giudicelli. Fattouh and Giudicelli met in Beirut while the latter was in residence for three weeks. Discussions about the different Lebanese wars took place during long walks throughout the city. One day, Fattouh evoked a memory about her childhood, when her family decided to cross borders between West and East Beirut in 1988 in the midst of the civil war and for the first time since it began in 1975. Walking Borders emerged from that conversation, when at the age of 8, the artist discovered for the first time the other part of Beirut.
Kitchen installation
Kitchen installation
In the Metro, Joachim Charbit
In the Metro, Joachim Charbit
Kitchen, Joachim Charbit
Kitchen, Joachim Charbit
Kitchen, Bathroom, In the Metro (2018) - Joachim Charbit
Series of 3 videos, 2018, USA-France
The 3 videos presented today, Kitchen, Bathroom and In the Metro, all witness the beauty that we have stopped seeing because of the repetitive environment in which it is located. Our daily tasks have become so machinal that we are mostly passive, when brushing our teeth, making diner, going to work… Joachim intents, through videos, to focus on the beauty behind these daily routines, and tries to revive the shut minds to witness what had been going on right in front of us.
Rivés sur Mondial 2010
Rivés sur Mondial 2010
Mondial 2010, Roy Dib
Mondial 2010, Roy Dib
Diffusion de Mondial 2010
Diffusion de Mondial 2010
مونديال 2010 / Mondial 2010 - Roy Dib
2014 / 19'30'' Written and Directed by Roy Dib
Cast: Abed Kobeissy, Ziad Chakaroun - Sound Engineer: Fadi Tabbal and Stephane Reeves (Tunefork Recording Studios)
Mondial 2010 is a discussion of institutional borders in modern day Middle East. It uses video as an apparatus to transgress boundaries that are inflicted on people in spite of them. It is a travel film in a trajectory that doesn’t allow travel, starring two male lovers, in a setting where homosexuality is a punishable felony. Shot with a hand-held camcorder, Mondial 2010 borrows the aesthetics of a travel video log. It normalizes the abnormal, and by doing so creates its own universe of possibility. It is a shift from the mainstream passive view of the Palestinian/Israeli conflict that places the victim/oppressor in the forefront of the produced imagery. This video glides over this conflict with an upper hand. The relations between Israelis and Lebanese are governed by the 1943 Lebanese Criminal Code and the 1955 Lebanese Anti-Israeli Boycott Law, the former of which forbids any interaction with nationals of enemy states, and the latter of which specifies Israelis, making a trip for a Lebanese citizen to Israel (or Palestinian Territories) impossible.
Nous tenons à remercier Mustafa Yammout, alias Zico, et Youssef de la Zico House, qui nous ont accompagné tout au long de ce projet.

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