En 1994, vous fondez le festival EWOLÉ, première rencontre d’art contemporain au Togo. Dans quel contexte avez-vous créé ce festival et quel était son importance dans le paysage artistique togolais ?
J’ai fait mes premiers pas dans le milieu de l’art à Abidjan, où j’ai pu étudier à l'École Nationale des Beaux-Arts. J’ai eu beaucoup de chance de faire des études d’art, la plupart des artistes togolais de ma génération n’ont pas eu accès à une quelconque formation.
Après mon diplôme, je suis retourné au Togo et je n’y ai pas trouvé la même dynamique artistique que celle dans laquelle j’avais baigné en Côte d’Ivoire. Localement il n’y avait rien. J’ai alors réfléchi à la meilleure façon de partager mes connaissances. J’ai commencé par ouvrir mon atelier aux artistes et organiser des workshops, durant lesquels j’enseignais les notions théoriques et académiques que j’avais reçues.
En novembre 1994, plusieurs années après mon retour, j’ai décidé de mettre en place un événement artistique à Lomé, nommé EWOLÉ (tiré du Baoulé, langue ivoirienne, qui signifie « nous sommes-là, nous existons »). J’ai pensé cet événement comme une rencontre professionnelle d’artistes visuels du monde entier, qui donnerait aussi l’opportunité aux jeunes artistes togolais de se former et de rencontrer des artistes venus d’ailleurs. Dans le cadre du festival, nous accueillions dix jeunes artistes en résidence durant un mois. Les participants du festival étaient invités à partager leurs techniques aux jeunes artistes sélectionnés, qui étaient ainsi formés par des professionnels venus du Cameroun, de Madagascar ou du Sénégal. Nous avions très peu de moyens à l’époque et nous avons organisé la première édition du festival dans un espace de friche. Parallèlement, j’ai mis en place un espace culturel, Artistik, pour réunir toute une documentation de livres sur l’art, que les jeunes artistes venaient consulter. J’avais par exemple écrit à Beaux-Arts Magazine, pour qu’ils nous envoient leurs vieux numéros et que nous puissions avoir accès à leur magazine.
Au cours des éditions suivantes du festival, nous avons fait venir des journalistes culturels, puis des critiques d’art et des curateurs, pour former quelques personnes sur place et donner une réelle impulsion au milieu de l’art au Togo. Il était important pour nous de former un ensemble de professionnels à tous les métiers de l’art. La plupart des artistes togolais sont passés dans mes ateliers, ou ont été en résidence à EWOLÉ. J’ai réussi à faire tenir le festival pendant 9 éditions.
Je pense que l’ambiance que j’ai vécu durant mes études d’art à Abidjan a vraiment été le moteur de mes initiatives. J’ai voulu recréer cette ambiance de partage et d’émulation artistique que j’avais trouvée si prolifique lors de mes études.
Pourquoi avoir mis un terme à cet événement ?
Nous avions beaucoup de mal à trouver les financements nécessaires pour donner au festival les moyens de se pérenniser. Il nous manque une volonté politique. À un moment donné, l’Etat doit décider de créer des écoles, de mettre en place des budgets culturels à disposition des communes, pour promouvoir des centres culturels, des festivals…
Il y a à Lomé un espace que l’on appelle l’espace Bonké. Cet espace devait recevoir l’Institut National des Arts, et accueillir des salles d’expositions, un auditorium, une salle de cinéma, des salles de classes... Quelques années après l’annonce officielle, le projet a été étouffé et nous n’avons jamais eu d’Institut National des Arts. Aujourd’hui, l’espace est en friche, il sert de parking pour les gros transporteurs qui traversent le pays.
Sans volonté politique nous ne pouvons aller nulle part, peu importe notre détermination et l’acharnement avec lequel nous agissons.
Comment décririez-vous la scène artistique au Togo ?
Je pense que nous pouvons catégoriser les artistes togolais en fonction de leur génération. Les premiers artistes modernes étaient des peintres paysagistes, très influencés par l’impressionnisme puis le cubisme. Ils aimaient bien frimer avec leurs pinceaux derrière l’oreille lorsqu’ils se baladaient dans la rue; ils portaient une coupe de cheveux ghanéenne, que nous appelions Ghana bol
Du côté des lieux d’exposition et des institutions culturelles, nous manquons cruellement d’espaces. Lorsque je suis rentré d’Abidjan, il n’y avait que le Centre Culturel Français (CCF - actuel Institut français) et le Goethe institut qui organisaient des expositions.
Aujourd’hui, la situation est sensiblement la même, et la plupart des artistes exposent chez eux. Il y a bien sur quelques initiatives timides. Dans les espaces publiques par exemple, le gouvernement a demandé à 8 artistes contemporains d’investir la place de la Colombe de la paix, l’une des principales places de Lomé, et de réaliser des fresques en mosaïque.
Quelles sont les priorités auxquelles doit s’attacher le gouvernement pour renforcer la scène artistique togolaise ?
Récemment, le gouvernement a mis en place le fond d’aide à la culture, mais la répartition de ce fond est selon moi mal gérée. Je pense que les personnes chargées de ce fond d’aide devraient identifier chaque année plusieurs catégories d’intervention, pour fournir d’une part un budget conséquent aux actions majeurs et prioritaires, et encourager d’autre part les plus petites initiatives avec une aide appropriée. Aujourd’hui, la priorité est à la formation.
Nous avons frappé à la porte des politiques pour créer une école d’art sur le modèle occidental qui tienne compte des réalités africaines, c’est-à-dire avec une démarche artistique liée à la spiritualité. Nous devons donner la possibilité aux étudiants de suivre un enseignement artistique dans lequel ils pourraient intégrer les savoirs endogènes à leurs démarches de création.
Nous attendons les moyens pour créer des enseignements artistiques de haut niveau au Togo, et ainsi permettre aux artistes et à la création contemporaine d’avancer.