Lomé est au centre de l’Afrique de l’ouest, à 4 heures de route de Cotonou et d’Accra, 6 de Lagos, 12 d’Abidjan, ou encore 15 de Ouagadougou. Près de quarante langues et une cinquantaine d’ethnies se partagent le territoire. 
Nous avions à cœur de découvrir Lomé et le Togo à travers ses différentes initiatives et acteurs culturels. Nos recherches en ligne avant notre arrivée étaient très prometteuses, nous avions référencé de nombreuses galeries, festivals et artistes. Nous sommes ainsi partis à la recherche de l'art à Lomé pour y voir les œuvres des contemporains togolais, et comprendre leur cadre de création. Il était temps de rompre avec l'idée préconçue et largement véhiculée en Occident d'un "art africain", ou du moins d'en comprendre ses fondements. 

Sculpture en tissus et colle de l'artiste togolais Serge Anoumou

L'Art Sur la place publique
Caméra à l'épaule, chapeaux et lunettes sur nos têtes de yovos, surnom quelque peu amusant puis très vite énervant, donné à tout individu blanc au Togo, le nez blanchi par une trop grosse dose de crème solaire 50+, nous étions parfaitement camouflés pour prendre nos premières prises de vue. 
Nous avons passé plus d’un mois à côtoyer Lomé, à arpenter ses longues rues de sable, ses bordures de lacs, ses vendeuses de koliko (Igname frit, quel délice avec la sauce piquante), ses foufous aux sauces un peu trop pimentées, ses zemidjans, ou moto-taxis, qui se faufilent et filent une peur bleue, sans oublier ses awooyos (bière locale rafraîchissante) à l'ombre des maquis.
 La capitale du Togo nous a donné à voir un patrimoine culturel riche et coloré sur ses places publiques. Ce premier contact avec les artistes togolais était réjouissant car il nous montrait qu'ils avaient une place importante dans la société, et qu'une partie de leur travail se trouvait disponible à tous sur la place publique. 
Nous avons ainsi découvert les sculptures modernes du grand maître Paul Ahyi (1930-2010), qui décorent les principaux axes de la capitale. Ses sculptures et bas reliefs ont été les premiers à s'approprier la culture togolaise et plus largement africaine à travers un art plus moderne et inspiré des tendances occidentales (Paul Ahyi s'est formé aux Beaux-arts de Lyon puis de Paris avant de retourner vivre au Togo). ​​​​​​​
Mosaïque, Paul Ahyi
Mosaïque, Paul Ahyi
Sculpture, Paul Ahyi
Sculpture, Paul Ahyi
Sculpture, Paul Ahyi
Sculpture, Paul Ahyi
L'architecture coloniale, encore très présente dans la ville, est témoin des occupations successives de la ville. Elle renforce le patrimoine culturel de Lomé, avec par exemple la Cathédrale du Sacré-Coeur au centre du grand marché et le Palais des gouverneurs en bord de mer, deux archétypes de l'architecture coloniale allemande. Une architecture plus moderne, à l'image des grandes banques du boulevard intérieur, diversifie le paysage urbain qui n'a cessé de nous étonner. 
Le gouvernement a récemment cherché à embellir davantage sa capitale; suite à une initiative de l'artiste Emmanuel Sogbadji en 2016, 8 artistes commissionnés ont décoré ses avenues centrales avec près de 10 000 mètres carrées de mosaïques. Ces mosaïques sont faites de grandes tuiles colorés, et proposent de belles scènes de vie dans un style moderne et figuratif. 
Voici un résumé de nos plus belles promenades dans Lomé:

Le patrimoine artistique présent sur les places publiques à Lomé

Des Espaces culturels précaires
Après nos déambulations dans les quartiers centraux de Tokoin, Nyekonakope, Kodjoviakope, Bè Kpéhénou et Noukafou où nous avons pu, sous une chaleur écrasante, assister au bouillonnement serein d’une ville animée par le commerce, nous sommes partis à la recherche d’espaces dédiés à l’art et la culture. 
Nous avons commencé par la visite du Musée National; le musée abrite quelques objets traditionnels des différentes ethnies ayant vécues au Togo, et une petite salle consacrée à la mémoire des massacres de la colonisation et de la traite négrière. Le musée ne diffuse malheureusement pas la culture et l'art togolais postérieur au XVIIème siècle.
Nous nous sommes ensuite rendus à la Galerie AF, tenue par Alain Fassier.  La galerie propose des oeuvres d'art premier et de quelques artistes contemporains togolais. Nous avons pu y admirer les travaux de Tété Azankpo qui utilise les bassines et plateaux en fonte émaillée utilisés sur les marchés. Vous pouvez retrouver le récit de notre rencontre avec Tété ici: ​​​
Nous avions répertorié près d'une dizaine de galeries à Lomé, mais la galerie AF est la seule à être encore ouverte en 2019. ​​​​​​​
Extérieur de la galerie AF, Lomé
Extérieur de la galerie AF, Lomé
Intérieur de la galerie AF, Lomé
Intérieur de la galerie AF, Lomé
Affiches d'expositions de la galerie AF, Lomé
Affiches d'expositions de la galerie AF, Lomé
Nous avons fait face à de nombreuses fermetures de lieux culturels lors de ces recherches à Lomé, et de longs trajets pour interroger les voisins sur l'espace en question. La plupart ne se souvenaient pas du lieu, et pour ceux qui s'en rappelaient, ils ne savaient pas ce qu'il s'y passait. Nous avons senti que la scène artistique togolaise était comme coupée de sa société. 
Une des galeries introuvable était la Galerie Néo, fondée par l'artiste Kobla Eric Wonanu, connu sous le nom de Cham. La Galerie Néo est une galerie exclusivement en ligne, et a pour but d'élargir la place de l'art au Togo en exposant majoritairement des artistes émergents. Un projet ambitieux qui nous a beaucoup plu, car il prend en compte le passé de la scène et saura peut-être élargir le public de l'art à Lomé.
Nous avons fini nos courtes visites d'espaces dédiés à l'art à l'Hôtel Onomo. Cet hôtel utilise son hall d'entrée et son restaurant comme espace d'exposition. La situation n'est pas idéale, nous avions parfois à nous pencher sur la table de vacanciers pour apprécier les œuvres exposées. L'Institut français du Togo y organise étrangement ses expositions, mais de nombreux artistes togolais refusent de voir leurs œuvres décorer temporairement cet espace. 
 Nos visites à la recherche des différents espaces culturels de la ville nous ont donné l'impression d'une scène sur le déclin; les artistes contemporains ne semblent plus avoir d'infrastructures au service de leur expression.
Devant les difficultés à trouver des acteurs culturels exposant le travail de la scène contemporaine, nous avons décidé de comprendre ce qu'il se passait à la source de la création artistique. Nous sommes allés à la recherche des artistes de Lomé, non sans mal.
À ce moment de nos recherches, nous pouvions déjà établir plusieurs conclusions. Il est très compliqué, voire impossible pour la société togolaise, de voir les créations contemporaines des artistes du Togo. La scène artistique togolaise est, en d'autres termes, court-circuitée, comme nous l'explique Jerry Orlando, artiste et fondateur du Jahvisme.

Jerry Orlando, à propos des espaces de diffusion à Lomé

L'aTelier, portes-ouvertes
Sans aucun référencement, et avec une envie débordante de découvrir les créations contemporaines, nous sommes allés toquer aux portes des ateliers des artistes, et avons pu contempler des travaux d'une grande qualité et aux techniques inédites.
Il est assez rare de voir un artiste, en France ou ailleurs, ouvrir les portes de son atelier pour le plaisir de quelques passants. Nous avons eu le droit à un accueil des plus chaleureux dans les ateliers de Lomé, nous avons ressentis que ces sollicitations n'étaient peut-être pas aussi fréquentes que les artistes l'auraient aimées. Certes quelques artistes réticents à nous montrer leurs travaux et techniques ont décliné notre demande, mais la grande majorité d'entre eux ont passé plusieurs heures à nous présenter et à nous décrire leurs projets. En raison du manque d'espaces dédiés à l'art, les ateliers font office de vitrines pour les artistes, au point même d'être transformés en espaces d'exposition. Ils servent aussi d'espaces de stockage, mais les conditions de conservation posent un réel problème à cause du climat tropical du pays, chaud et humide.
Nous avons été impressionnés par la quantité d’œuvres produites dans les ateliers.​​​​​​​ Les sculptures et peintures restent les formes d'expression artistiques les plus répandues, même si la sculpture s'étend de la ferraille au bois, en passant par le tissu et le plastique. Les matériaux dits nobles (bronze, ébène, marbre...) se font très rares à cause de leur coût important. Pour autant, le coût de production des œuvres est significatif pour les artistes, et il est important ici de casser ce mythe de la récupération. Les matériaux sont achetés neufs, ou alors troqués contre du neuf (si le vécu de la matière est primordial à la réalisation de l'oeuvre). Ceux utilisés par les artistes togolais peuvent se faire si rares qu'ils doivent parfois étendre leurs recherches aux pays frontaliers. 
Il n'y a pas de magasins pour les artistes au Togo. Les peintres s'approvisionnent en peinture lors de leurs déplacements en Europe ou au Nigeria, et en rapportent généralement pour leurs pairs. Les toiles se trouvent dans les marchés, enfouies sous des piles de chutes de tissus déversés par des grands cargos européens, et doivent être traitées puis tendues sur des cadres tout aussi difficiles à se procurer. Nous avons été impressionnés par la force de caractère et la détermination des artistes togolais, pour qui rien n'est facile.
Nous vous proposons de visiter avec nous l'atelier de l'artiste multidisciplinaire Sokey Edorh, à Agou. Né en 1955 à Lomé, Sokey Edorh est un des grands maîtres de l'art togolais. Son univers unique, dans lequel il a créé son propre alphabet pour parler librement, a su réveiller à de nombreuses reprises la clameur de la foule. ​​​

Dans l'atelier de Sokey Edorh

Pour s'en sortir, les artistes doivent vendre. À l'exception de l'actuel président, Faure Gnassingbé, il n'y a pas de collectionneurs au Togo et le marché de l'art est quasi inexistant. Les artistes reposent presque exclusivement sur les acquéreurs étrangers. Ils semblent extraire le maximum de productions de leurs idées, au point où les ateliers ont pu par moment nous faire penser à des espaces d'assemblage et de production plutôt que de création.
Alors que nous étions entourés de fraîches créations, nous avons questionné les artistes sur les parcours de leurs travaux. La plupart nous répondent, avec un brin de fatalisme, que les œuvres passent directement des ateliers à des collections privées ou à des galeries européennes. Le rôle de l'art et de l'artiste togolais semblent avoir ici perdu toute connexion avec sa société.
Les travaux, qui traitent de la culture togolaise et africaine, se trouvent déracinés avant même d’avoir pu semer leurs propos. À l'heure où les pays d’Afrique réclament la restitution de leur patrimoine, le patrimoine contemporain africain est à nouveau en train d'être exporter vers l'occident.
Atelier de Sokey Edorh, à Agou
Atelier de Sokey Edorh, à Agou
Atelier de Emmanuel Sogbadji, à Lomé
Atelier de Emmanuel Sogbadji, à Lomé
Atelier de Emmanuel Sogbadji, à Lomé
Atelier de Emmanuel Sogbadji, à Lomé
Des Artistes Trop Seuls
La grande majorité de la scène locale est composée d’artistes autodidactes, ce qui signifie qu’ils se sont formés par eux-même; ce qui n’est généralement pas un choix.
Lomé ne dispose pas d’école d’art, la plus proche se trouve à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Quelques bourses offrent la possibilité d’étudier en France ou en Allemagne, mais dans la plupart des cas, les jeunes feront autrement. 
Il fût un temps où certains artistes locaux ouvraient leurs ateliers aux jeunes pour les former. L’École de Lomé du grand maître Paul Ahyi a permis à de nombreux jeunes de se former dans ses ateliers. Cette méthode de formation, encore très présente au Bénin, a pris fin il y a déjà une dizaine d’années à Lomé, sans qu’aucune formation alternative n’ait été mise en place. 
Nous avons enquêté sur la disparition de cette pratique de formation; elle serait due à une rupture de confiance entre les jeunes artistes, accusés de copier plutôt que de s'inspirer, et les artistes plus établis, accusés de profiter d'une main d'oeuvre gratuite pour augmenter leur productivité. 
L'artiste et designer Kossi Assou nous a fait part de son dévouement pour le développement culturel togolais, à travers diverses initiatives. Fort de ses expériences de partage et de réflexions collectives aux Beaux-arts d'Abidjan, Kossi organise en 1994, puis durant 9 éditions, le Festival Ewolé, une rencontre professionnelle d’artistes visuels du monde entier. Kossi développe en même temps Artistik, un espace de promotion de l'art à Lomé. Les initiatives portées par Kossi Assou auront grandement contribué au développement de l'art et de la culture au Togo; la jeune scène togolaise n'a pas manqué de mentionner les rencontres Ewolé comme une étape déterminante de leur parcours artistique lors de nos interviews. 

Kossi Assou à propos de l'espace ArtistiK

C'est au tour des plus jeune de reprendre le flambeau de la promotion culturelle et artistique. Ras Sankara Agboka est un jeune artiste performeur de Lomé. Ras a beaucoup œuvré pour rendre l’art plus accessible à la population avec la création du Festival international de connexion culturelle emome art, en effectuant de nombreuses performances dans les rues de Lomé et Kpalimé et en intervenant dans les écoles pour initier les plus jeunes à la culture et à l’art. Ses oeuvres traitent de la preservation du patrimoine et de l’histoire africaine. Il nous fait part de ses difficultés à se documenter sur l’art de la performance. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à documenter au mieux ses travaux avec des films et photos.

Ras Sankara et la documentation au Togo

Kossi Assou
Kossi Assou
Ras Sankara
Ras Sankara
Au Togo, l’artiste ne se contente pas de créer, il s’investit, d’une manière ou d’une autre, dans le développement culturel du pays.
Notre parcours de la scène artistique togolaise aura été un parcours coloré, abondant et difficile. La scène se démène depuis des décennies pour faire vivre la culture à travers des événements et la création d'institutions, mais le manque de financement, publics et privés, finit presque toujours par avoir le dernier mot. Le Togo et ses artistes disposent pourtant d'une motivation et d'une passion qui se retrouvent de générations en générations, et ils ne semblent pas tomber dans la fatalité, bien que le manque d'infrastructures et d'éducation artistique dans le pays rende le parcours des artistes véritablement complexe. 
 Nous espérons que le Palais des gouverneurs, ainsi que la Fondation Agnassan, deux lieux de diffusion culturelle dont l'ouverture est prévue en 2019, sauront donner un nouvel élan de stabilité pour des artistes qui le méritent. 
Exterieur de la Fondation Agnassan, Lomé
Exterieur de la Fondation Agnassan, Lomé
Palais des Gouverneurs, Photo du site du palais des gouverneurs
Palais des Gouverneurs, Photo du site du palais des gouverneurs

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